Comment restaurer un climat de confiance durable ? Une proposition du collectif Stop Enrobé 81 au Préfet du Tarn
Communiqué du 8 décembre 2023
Lors de la réunion organisée le 15 novembre 2023 par les services de la Préfecture du Tarn, à laquelle participaient des représentants de Tarn Enrobés (exploitant de la centrale d’enrobage à chaud de Terre de Bancalié), des élus de Terre de Bancalié et de Montredon-Labessonnié, et des représentants du collectif Stop Enrobé 81, les propositions suivantes avaient été faites par les services de la Préfecture :
1) réalisation d’une campagne de mesures sur les rejets atmosphériques de la centrale de Terre de Bancalié et identification des substances odorantes en sortie de cheminée avant le 1er avril 2024 ;
2) élaboration d’un plan de surveillance sur la base des résultats de cette campagne de mesures et mise en place de ce plan de surveillance avant le 1er juin 2024 pour une durée courant jusqu’à fin 2024 ;
3) création d’une instance de suivi dans laquelle siégeraient toutes les parties prenantes au dossier (exploitant, riverains, élus locaux, services de la Préfecture), et qui permettrait notamment la communication de cette surveillance.
Les propositions des services de la Préfecture faisaient suite à 18 mois de fonctionnement erratique de la centrale, avec des épisodes récurrents de nuisances et de pollution intenses ainsi que plusieurs infractions avérées à la réglementation de la part de l’exploitant.
À l’issue de la réunion en Préfecture, le collectif Stop Enrobé 81 avait été consulté pour donner son avis sur ces propositions. De sorte à éviter tout malentendu, il avait demandé une version écrite des propositions afin que l’ensemble des membres du collectif puissent en discuter et rendre un avis aux services de la Préfecture.
Tandis que sa réflexion était en cours, le collectif a eu connaissance d’un certain nombre d’éléments qui jettent le doute sur l’impartialité des services de la Préfecture dans ce dossier. Ceci s’ajoutant au discrédit qui pèse sur l’exploitant de la centrale en raison de son comportement depuis 18 mois, comment, dans ces conditions, « restaurer un climat de confiance durable », selon le vœu exprimé par le Préfet ?
Fort des conseils scientifiques de l’Institut Éco-citoyen pour l’Étude de la Pollution (Fos-sur-Mer), le collectif Stop Enrobé 81 propose aujourd’hui une solution simple et éprouvée dont toutes les parties prenantes au dossier (exploitant, riverains, élus locaux, services de la Préfecture) sortiraient gagnantes et qui serait susceptible de mettre un terme à l’actuelle situation de crise territoriale en redonnant sérénité à chacun : la mise en place concertée d’un dispositif de contrôle continu des émissions de la centrale, avec accès immédiat de toutes les parties prenantes aux résultats produits par ce dispositif.
Le collectif s’en explique dans la lettre ouverte qu’il a adressée au Préfet du Tarn, reproduite ci-dessous.
Montredon-Labessonnié, le 8 décembre 2023,
Monsieur le Préfet du Tarn,
Lors de la réunion organisée le 15 novembre 2023 par les services de la Préfecture du Tarn à propos des nuisances et de la pollution provoquées par la centrale d’enrobage à chaud de Terre de Bancalié, des propositions ont été énoncées en votre nom afin de remédier à une situation intenable, propositions sur lesquelles l’avis du collectif Stop Enrobé 81 a été demandé.
Alors qu’il s’apprêtait à fournir cet avis, le collectif a pris connaissance des faits suivants.
Une réunion a eu lieu le 21 novembre 2023 sur l’initiative de la Préfecture du Tarn. La Préfecture y était représentée par le sous-préfet de Castres, par le directeur de la DREAL Tarn-Aveyron (en charge de la surveillance des centrales d’enrobage à chaud) et par le directeur de projet auprès du Préfet du Tarn en charge de la valorisation du projet d’autoroute A69 Toulouse-Castres.
Participait également à cette réunion un représentant de la société Atosca, entreprise privée en charge de la construction de l’autoroute A69.
La réunion était à destination des élus municipaux des communes avoisinant les deux sites prévus pour l’installation des centrales d’enrobage à chaud devant servir pour la construction de l’autoroute. Elle avait un double objet :
1) informer et rassurer les élus, lesquels constatent une forte inquiétude, sinon une opposition, d’un nombre croissant de leurs administrés vis-à-vis des projets d’implantation de centrales d’enrobé pour l’autoroute ;
2) préparer une communication commune aux services de la Préfecture, à Atosca et aux élus afin de convaincre les populations concernées de l’innocuité de l’activité des centrales d’enrobage à chaud pour la santé humaine et pour l’environnement.
Au cours de cette réunion, le directeur de la DREAL Tarn-Aveyron, répondant à une remarque d’un élu sur l’inquiétude des populations par rapport au projet de centrales pour l’autoroute, a déclaré, à l’adresse des participants à la réunion :
« Je ne vous cache pas que dans le Tarn, on a un phénomène spécifique sur toutes les centrales d’enrobage. Puisque si vous avez suivi l’actualité récente, on a eu un premier sujet sur la commune de Montans avec une nouvelle centrale que le Préfet a autorisée le 11 mai, qui a généré un peu de passion […]. Cette centrale n’est pas en service aujourd’hui, elle fait l’objet de nombreux contentieux. On a par contre une centrale en fonctionnement sur la commune de Terre de Bancalié. Terre de Bancalié c’est à côté de Montredon Labessonnié, et pas très loin de Réalmont, et on a un collectif Stop Enrobé 81 qui clairement voudrait que le Préfet mette fin au fonctionnement de cette centrale. Donc, on a une sorte de galop d’essai en cours sur cette centrale en fonctionnement. Pas plus tard que la semaine dernière, le Secrétaire général de la Préfecture a réuni le collectif, les élus, les opposants, les services de l’État et on a mis en place un plan d’actions pour rassurer …euh… le collectif ça va toujours être difficile, mais en tout cas les riverains, les parents d’élèves des écoles, les parents qui amènent leurs enfants à la crèche sur le fait que cette centrale ne génère pas la peste et le choléra comme les opposants voudraient nous en convaincre. Donc, on a un galop d’essai sur cette centrale d’à côté de Réalmont, où on met en place des mesures, où on met en place un plan de surveillance et on va communiquer, on va jouer la transparence. Tout ça, ça nous sera évidemment fort utile lorsque les deux centrales d’Atosca seront en service. Aujourd’hui, ce qu’il faut qu’on fasse c’est gagner la première partie qui est celle d’avant la mise en service. Pendant que les centrales fonctionneront, il y aura évidemment d’autres actions à mener. »
Autrement dit, avant même que les mesures de rejets atmosphériques et la surveillance prévues concernant la centrale de Terre de Bancalié soient effectuées ou même que leur protocole ait été défini, la direction de la DREAL Tarn-Aveyron considère que les résultats sont connus d’avance et qu’ils seront favorables à l’exploitant, de sorte que les riverains seront rassurés. Ces résultats attendus pourraient même cautionner l’installation des centrales pour l’A69 (centrales dont la mise en service est prévue en janvier 2025). Ils aideraient à justifier d’un dispositif similaire quand les centrales fonctionneront, voire à « gagner la première partie qui est celle d’avant la mise en service ».
On demande ainsi au collectif Stop Enrobé 81 de participer à, et donc de légitimer, un processus de concertation préfectorale qui, sous couvert de réponse aux très nombreuses réclamations déposées par les riverains quant aux nuisances et à la pollution provoquées par le fonctionnement de la centrale, est pensé pour permettre de valider l’activité de la centrale (tout en faisant oublier les infractions avérées de l’exploitant à la réglementation), et pourrait en outre servir à favoriser l’activité d’autres centrales dans le Tarn.
Plus tard, lors de cette même réunion, le directeur de la DREAL Tarn-Aveyron évoque une inquiétude manifestée par le collectif Stop Enrobé 81 lors de la réunion en Préfecture du 15 novembre à propos de l’émission de particules fines (PM10) par la centrale d’enrobage à chaud de Terre de Bancalié, particules nuisibles à la santé humaine. Sa restitution du discours du collectif est tronquée, alors même que toutes les précautions oratoires avaient été prises par le collectif, s’appuyant sur le conseil scientifique de l’Institut Éco-citoyen pour la Connaissance de la Pollution (Fos-sur-Mer). Les propos sont déformés, le tout avec un mépris mal dissimulé pour l’action du collectif, dans le but manifeste de discréditer l’action non seulement de Stop Enrobé 81 mais aussi des collectifs d’« opposants » aux centrales d’enrobage à chaud pour l’autoroute. On s’étonne donc d’entendre les services de la Préfecture revendiquer quelques minutes plus tard, dans cette même réunion, une « posture très bienveillante à l’égard des collectifs ».
On s’étonne aussi que, quinze jours après, les services de la Préfecture publient un communiqué de presse dans lequel ils indiquent, à partir de résultats de mesures des PM10 produits pour le 27 septembre 2023 par un capteur artisanal citoyen mis en place à Lafenasse, que « la moyenne sur la journée du 27 septembre est nettement inférieure à tous les seuils réglementaires en vigueur relatifs à la protection de la santé ». Le collectif, lorsqu’il avait présenté ces résultats au cours de la réunion du 15 novembre en Préfecture, avait pourtant souligné leur caractère approximatif et non directement exploitable. Il s’était d’ailleurs gardé, par prudence et rigueur scientifique, de toute diffusion de ces résultats et même de toute conclusion, dans l’attente de la mise en place d’un dispositif de mesure plus fiable et sur une longue durée. Les services de la Préfecture se sont malgré tout appuyés sur ces résultats pour tenter de rassurer la population sur la qualité de l’air à Lafenasse (https://www.lejournaltoulousain.fr/occitanie/tarn/actualites-tarn/terre-de-bancalie-la-prefecture-veut-rassurer-sur-la-qualite-de-lair-autour-dune-usine-de-goudron-239648/). Du reste, que les seuils réglementaires (plus élevés en France que ceux fixés par l’Organisation mondiale de la santé) ne soient pas dépassés ne signifie pas que la pollution par les PM10 n’a pas d’impact et que nous n’ayons pas de raison d’être inquiets pour notre santé. Nous serions curieux de savoir ce que des mesures réalisées sur une année, avec des capteurs sophistiqués, diraient de la qualité de l’air à Lafenasse.
Le même jour où avait lieu la réunion concernant les centrales d’enrobé pour l’autoroute, notre collectif recevait un courriel de la part du directeur de la DREAL Tarn-Aveyron. Dans ce courriel, l’instance de suivi concernant la centrale de Terre de Bancalié, instance dont la mise en place est envisagée pour 2024, est présentée comme le lieu de la « communication », à l’ensemble des parties prenantes, des dispositions qui seront prises dans le cadre de la surveillance de la centrale. La formulation ne laisse aucune place à l’idée que puisse avoir lieu un dialogue préalable afin d’établir ensemble, de façon concertée, consensuelle et avec les conseils de scientifiques (tels que ceux de l’Institut Éco-citoyen pour la Connaissance de la Pollution), les protocoles des dispositifs appliqués dans le cadre de cette surveillance. Compte tenu de ce qui s’est passé depuis 18 mois, un tel dialogue aurait représenté un moyen de « restaurer un climat de confiance durable », selon le vœu que vous avez exprimé.
Nous n’avons dans ces conditions aucune garantie que les protocoles adoptés se conformeront à des modalités rigoureuses et scientifiques, et à une exigence de neutralité. Les propos du directeur de la DREAL Tarn-Aveyron lors de la réunion sur les centrales d’enrobage à chaud pour l’autoroute A69 ne prêtent pas vraiment, en la matière, à la « confiance ».
Dans son courriel, le directeur de la DREAL oppose par ailleurs une fin de non-recevoir aux deux demandes formulées par le collectif lors de la réunion du 15 novembre : réalisation par la DREAL d’une inspection complète de la centrale de Terre de Bancalié ; mise en place d’une procédure d’arrêt d’urgence de la centrale en cas de nuisances dépassant le seuil du tolérable. Aucune discussion de ces demandes n’est envisagée par les services de la Préfecture, aucune explication de leur refus n’est fournie, sinon un pur argument d’autorité : « L’autorité compétente sur les conditions d’exploitation de cette installation et sur les contrôles afférents est le Préfet de département. Il ne revient donc pas au collectif ni de fixer les conditions d’une inspection ni de définir une procédure d’arrêt d’urgence ». Il y a loin entre cette attitude et la mission officielle fixée à la DREAL qui consiste en « la promotion de la participation des citoyens dans l’élaboration des projets ayant une incidence sur l’environnement ou l’aménagement du territoire » (https://www.occitanie.developpement-durable.gouv.fr/missions-et-geographie-des-competences-a23962.html).
Pourtant, si on avait un peu plus fait confiance au jugement des riverains depuis 18 mois et un peu moins à l’exploitant, un certain nombre de problèmes n’auraient-ils pas été évités ? Le collectif avait par exemple alerté les services de la Préfecture, lors d’un entretien téléphonique en date du 20 juin 2023, sur ses doutes quant à la pertinence des mesures effectuées le 9 novembre 2022 par un bureau d’études agréé, mandaté par l’exploitant, mesures dont ce dernier argue, depuis, pour justifier de sa conformité à la réglementation. Cette alerte du collectif n’avait pas été suivie d’effet. S’en sont suivis, plutôt, les incidents que l’on sait en juillet et pendant une grande partie du mois de septembre, durant lesquels les odeurs de bitume ont pénétré jusque dans les chambres des enfants de la crèche de Lafenasse, des gouttelettes noires se sont abattues sur les habitations, les jardins et les prairies, et des fumées invasives ont recouvert des parties de notre territoire.
Par ailleurs, au cours d’un entretien téléphonique avec la DREAL en date du 27 septembre 2023, le collectif avait fait part de son étonnement concernant les mesures d’odeur et de bruit réalisées par un prestataire agréé fin juillet 2023 alors même que la centrale d’enrobage à chaud était à l’arrêt ou fonctionnait à très bas régime. À ce jour, nous n’avons jamais eu de réponse de la part de la DREAL à propos de cette interrogation.
D’autres de nos questions ces derniers mois sont demeurées sans réponse, qu’elles aient été adressées à l’exploitant ou à la DREAL. Un voile d’opacité recouvre toutes les dimensions du dossier et toutes les questions qui embarrassent l’exploitant et les services de la Préfecture.
En somme, nous avons été plus ou moins écoutés ces six derniers mois, mais nous n’avons pas été entendus. Nous comptions que la réunion du 15 novembre en Préfecture soit l’occasion d’un changement de méthode, où aurait été affirmé le souci des services de la Préfecture et de l’exploitant d’établir un dialogue constructif, dans le respect des attentes, des interrogations et de l’expérience de chacun, tout en laissant à l’autorité préfectorale la responsabilité de mettre en œuvre, ou de faire mettre en œuvre par l’exploitant, les moyens humains, matériels et financiers nécessaires pour déterminer la cause des nuisances et de la pollution que les riverains de la centrale subissent. Notre invitation à cette réunion paraît au contraire avoir eu une seule motivation : que nous servions de gage citoyen et de faire-valoir à des décisions qui sont prises sans considération aucune du point de vue des citoyens.
Dans ces conditions, comment « restaurer un climat de confiance durable » ?
Il existe un moyen simple et éprouvé de le faire, un moyen pratiqué de longue date par les industriels exploitant des installations à risque : la mise en place, en cheminée et pour certains paramètres (gaz, COV, HAP, métaux) en extérieur, d’un dispositif de surveillance continue des émissions de la centrale d’enrobage à chaud de Terre de Bancalié.
Ce dispositif de surveillance continue (avec des relevés électroniques, par les capteurs, toutes les 30mn par exemple), qui serait en place aussi longtemps que la centrale restera en service, concernerait l’ensemble des paramètres définis à l’article 6.7 de l’arrêté du 9 avril 2019 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations relevant du régime de l’enregistrement au titre de la rubrique n° 2521 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement. À savoir : les poussières, le monoxyde de carbone (CO), l’oxyde de soufre (SO2), l’oxyde d’azote (NOx), les composés organiques volatils (COV), les métaux et composés de métaux (gazeux et particulaires), les hydrocarbures aromatiques polycycliques. À quoi s’ajouteraient les composés H2S (sulfure d’hydrogène, source de l’odeur d’œuf pourri que connaissent bien les riverains de la centrale) et mercaptans.
Comme proposé lors de la réunion du 15 novembre 2023 et accepté par l’exploitant, les seuils réglementaires à ne pas dépasser pour ces paramètres seraient ceux fixés par l’arrêté du 9 avril 2019.
La mise en place concertée et consensuelle de ce dispositif, ainsi que l’accès immédiat de toutes les parties prenantes aux résultats qu’il produirait, auraient pour effet de rendre ces résultats incontestables. Plus aucun litige et plus aucune méfiance ne seraient possibles. Les riverains, les élus et la DREAL s’en trouveraient plus rassurés quant aux émissions de la centrale, et le blason de l’exploitant redoré ainsi qu’il l’appelait de ses vœux lors de la réunion du 15 novembre 2023. Toutes les parties prenantes (exploitant, riverains, élus locaux, services de la Préfecture) sortiraient gagnantes d’une telle démarche et la situation en serait pacifiée. Certes, un tel dispositif n’empêcherait pas nuisances et pollution de se poursuivre, puisque même lorsque des résultats de mesures de paramètres s’avèrent inférieurs aux seuils réglementaires, on sait que les nuisances et pollutions peuvent persister. Mais au moins aurait-on la certitude partagée que la réglementation est respectée.
Dans l’attente de votre réponse, nous vous prions de croire, Monsieur le Préfet, en l’assurance de notre considération distinguée.
Les membres du collectif Stop Enrobé 81