Episode 1 : Des (gros) trous dans la raquette préfectorale

Comment la centrale Tarn Enrobés de Lafenasse pollue en toute (il)légalité

Épisode 1 : Des (gros) trous dans la raquette préfectorale - 26 mars 2024

UNE ERREUR DE CALCUL FATALE DÈS L’ORIGINE

Un arrêté préfectoral, en date de 1997, autorise l’exploitation par Tarn Enrobés de la centrale d’enrobage à chaud de Lafenasse et fixe les règles et prescriptions qui encadrent cette exploitation.

L’arrêté préfectoral établit notamment les seuils de pollution à ne pas dépasser dans les rejets atmosphériques de la centrale (fumées). Trois étapes sont nécessaires au processus de calcul.

  1. L’arrêté fixe le « débit de gaz maximal » autorisé pour l’installation. Ce débit de gaz est exprimé en mètres cubes par heure normés (Nm3/h), c’est-à-dire pour un « gaz sec », ramené aux conditions normales de température et de pression.

  1. L’arrêté décrète une « valeur limite d’émission » pour chacun des polluants pris en compte (poussières, oxydes d’azote, oxydes de soufre). Cette valeur limite d’émission est fixée en termes de « concentration », laquelle s’exprime en milligrammes par mètre cube normé (mg/Nm3).

  1. De la concentration maximale autorisée pour un polluant, l’arrêté déduit, par un calcul, la valeur limite d’émission du polluant en termes de « flux horaire », exprimée en kilogrammes par heure (kg/h). Le calcul est le suivant :

Flux maximal autorisé = Débit maximal autorisé x Concentration maximale autorisée.

Or l’arrêté préfectoral de 1997 comporte une erreur sur le débit de gaz maximal autorisé, erreur qui fausse les seuils de pollution édictés en termes de flux. Depuis 25 ans, autrement dit, l’appréciation du niveau de pollution généré par la centrale est biaisée et erronée.

Expliquons. Le débit de gaz maximal autorisé est fixé par l’arrêté à 53 000 Nm3/h. Mais ce chiffre ne doit pas, en réalité, être de 53 000, lequel correspond au débit « d’air humide » sortant de la cheminée (fumées) exprimé en m3/h. Il doit être d’environ 34 000, lequel correspond au débit « d’air sec » entrant à l’aspiration de l’installation au niveau du sécheur, exprimé en Normom³/h (ou Nm3/h).

Le rédacteur de l’arrêté préfectoral a repris, dans l’étude d’impact proposée par l’exploitant à l’époque, le chiffre du débit d’air humide de la machine (52 800 m3/h, arrondi à 53 000) en omettant de le convertir en débit d’air sec, ce qui supposait de minorer ce chiffre du débit d’air humide d’environ un tiers.

Dès lors, ce sont toutes les valeurs limites d’émission exprimées en termes de flux dans l’arrêté préfectoral d’autorisation qui sont à réviser à la baisse. Et la différence entre les valeurs limites édictées par l’arrêté préfectoral d’autorisation et les valeurs limites qui auraient dû prévaloir est impressionnante.

Polluant

Flux maximal autorisé par l’arrêté préfectoral de 1997

Flux maximal autorisé après correction de l’erreur

Poussières totales

2,65 kg/h

1,7 kg/h

Oxydes d’azote

26,5 kg/h

17 kg/h

Oxydes de soufre

25 kg/h

16 kg/h

UN DÉPASSEMENT RÉCURRENT DU SEUIL DE POLLUTION EN OXYDES DE SOUFRE

On dispose de quatre rapports récents concernant les mesures, par un organisme agréé, des rejets atmosphériques de la centrale (pour les années 2019, 2021, 2022 et 2023).

Si on examine les résultats de ces mesures, on s’aperçoit qu’à deux reprises, en 2019 et en 2021, la valeur limite d’émission qui aurait dû être établie pour les oxydes de soufre est dépassée en termes de flux, avec un pic en 2019 à 24 kg/h pour une valeur limite de 16 kg/h.

Et si on examine la concentration (mg/Nm3) plutôt que le flux (kg/h), il y a dépassement pour les quatre années. Quels que soient le débit maximal (53 000 ou 34 000 Nm3/h) et donc le flux maximal (24 ou 16 kg/h) autorisés, la concentration maximale autorisée en oxydes de soufre, décrétée par décision préfectorale, conserve le même niveau : elle est de 470 mg/Nm3.

Or, selon les rapports de l’APAVE, la concentration mesurée est de 817 mg/Nm3 en 2019, 642 mg/Nm3 en 2021, 641 mg/Nm3 en 2022 et 497 mg/Nm3 en 2023.

Un tel dépassement se confirme dans la longue durée. Un rapport d’inspection de la DREAL (organisme préfectoral en charge de la surveillance des centrales d’enrobage à chaud) datant de 2012 indique que, selon des mesures réalisées en 2010 et en 2011, le flux d’oxydes de soufre était, sur chacune de ces deux années, de 20 kg/h, bien au-dessus de la valeur limite de 16 kg/h qui aurait dû être établie.

Faute d’inspections régulières de la centrale (quatre inspections seulement en 14 ans : 2011, 2012, 2019 et 2023), on ne dispose pas de données annuelles sur la totalité de la période.

Mais reste cette certitude : depuis longtemps, la centrale pollue massivement en toute illégalité.

LES POUVOIRS PUBLICS, ENTRE SURDITÉ ET DÉSINVOLTURE

Le dioxyde de soufre est un gaz toxique par inhalation. À forte concentration, il peut avoir de graves effets sur la santé humaine. Il peut altérer la fonction pulmonaire chez l’enfant, et provoquer des symptômes respiratoires chez l’adulte (toux, gêne respiratoire, bronchite).

De plus, des études scientifiques suggèrent que le dioxyde de soufre augmenterait les effets cancérogènes d’autres substances, comme les hydrocarbures aromatiques polycycliques générés par les centrales d’enrobage à chaud.

Les riverains de la centrale de Lafenasse sont coutumiers d’irritations chroniques au niveau du nez et de la gorge, ainsi que de fumées invasives, d’odeurs nauséabondes et de pluies de gouttelettes noires. Ayant découvert, en mars 2023, l’existence d’un formulaire administratif de signalement des nuisances et pollutions, ces riverains ont depuis lors adressé de nombreux signalements aux services de la Préfecture sans être, pendant longtemps, pris au sérieux.

Un collectif de citoyens était né début 2022 pour protester contre le projet, par Tarn Enrobés, d’implantation locale d’une nouvelle centrale d’enrobage à chaud, et les services de la Préfecture considéraient que l’existence de ce collectif avait artificiellement suscité des déclarations de nuisances et pollutions concernant la centrale en activité. Les services de la Préfecture considéraient, donc, que les riverains avaient exagéré les faits.

Les chiffres montrent au contraire que ces déclarations des riverains étaient loin d’être exagérées. Les services de la Préfecture disposaient de tous les éléments objectifs nécessaires, grâce aux rapports de mesures, pour s’en convaincre.

Mais ces rapports de mesures sont-ils sérieusement examinés ?

Suite de l’enquête demain, avec le second volet : Quand surveiller n’est pas veiller.