Centrale d'enrobés de Lafenasse : une première campagne de surveillance envrionnementale non fiable et non conforme
Communiqué - 1 décembre 2024
La première campagne de surveillance environnementale de la centrale d’enrobés de Lafenasse, conduite par l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS), s’est déroulée du 11 juillet au 7 août 2024. Elle a consisté en des prélèvements continus d’air ambiant en sept points aux alentours de la centrale durant quatre semaines. Il s’agissait de mesurer :
1) l’impact de l’activité de la centrale sur la qualité de l’air (à partir d’une sélection de six substances polluantes à rechercher dans les échantillons d’air prélevés) ;
2) les odeurs liées à l’activité de la centrale.
Que retenir de cette première campagne de surveillance ?
Après examen des documents écrits fournis
par les services de la Préfecture à la demande du collectif.
- le choix d’une méthode de prélèvement d’air non fiable (par tubes passifs) qui, selon le guide [lien] Surveillance dans l’air autour des installations classées publié par l’INERIS, ne produit que des résultats « indicatifs » (p.73 du guide [lien]), à l’« incertitude élevée » (p.81).
- le recours à un laboratoire d’analyses n’offrant pas, pour l’étude des échantillons d’air prélevés, les garanties attendues de qualité, de rigueur et de fiabilité (absence d’accréditation COFRAC pour ce type d’analyses, voir attestation COFRAC n° 1-1151 rév. 19 [lien], p.12-13).
- une température non conforme de conservation des échantillons d’air (23,7° mesurés à l’arrivée des échantillons au laboratoire contre une température requise d’environ 5° [voir Manuel Radiello, édition française 02-2004, p. C3, D4, E4]), température de conservation trop élevée qui, en induisant une volatilisation partielle des substances présentes dans les échantillons, est susceptible de biaiser les résultats de la campagne de surveillance – c’est pourquoi le fabricant des tubes qui ont été utilisés pour absorber l’air ambiant pendant la campagne de surveillance déclare ne pas garantir les résultats et préconise de recommencer les prélèvements.
La campagne de surveillance avait été précédée de mesures en sortie de cheminée le 11 avril 2024. Ces mesures en sortie de cheminée, réalisées par un organisme agréé (APAVE), faisaient partie du dispositif prévu par les services de la Préfecture en « réponse aux préoccupations des élus et des acteurs de préserver le bien-être et la santé de leurs concitoyens » (communiqué de presse de la Préfecture du Tarn, 17 novembre 2023). Elles permettaient d’identifier les substances polluantes qui devaient être recherchées dans l’air ambiant pendant la campagne de surveillance de l’INERIS.
Ces mesures en sortie de cheminée ont révélé des concentrations de plusieurs polluants dans les rejets atmosphériques de la centrale qui dépassent nettement les normes environnementales et sanitaires prévalant aujourd’hui (normes énoncées par l’arrêté ministériel du 9 avril 2019, auquel la société Tarn Enrobés, exploitant la centrale de Lafenasse, n’a jusqu’à présent pas voulu soumettre son installation).
La concentration mesurée en oxydes de soufre est le double de la valeur limite d’émission imposée par l’arrêté ministériel de 2019 : 630 mg/Nm3 pour une valeur limite d’émission de 300 mg/Nm3.
Les concentrations mesurées pour les composés organiques volatils spécialement dangereux (cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques) sont cinq à six fois supérieures à la valeur limite d’émission : entre 11 et 12 mg/Nm3 pour une valeur limite d’émission de 2 mg/Nm3.
POUR EN SAVOIR PLUS
La présentation par l’INERIS de la campagne de surveillance et de ses résultats
Du 11 juillet au 7 août 2024 s’est déroulée la première des deux campagnes de surveillance environnementale de la centrale d’enrobés de Lafenasse (Terre de Bancalié) – la seconde est prévue pour mars 2025. Cette première campagne de surveillance a été conduite par l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS), sous l’égide des services de la DREAL Tarn-Aveyron (gendarme des centrales d’enrobés). Elle a été financée par la société Tarn Enrobés, exploitante de la centrale de Lafenasse.
Après avoir sélectionné six substances polluantes présentes dans les émissions de la centrale en sortie de cheminée, l’INERIS a installé un dispositif passif d’absorption de l’air ambiant en sept emplacements aux alentours de la centrale, dans un rayon de 900 mètres à 3 km (plus un huitième emplacement, à 5,8 km, servant de point témoin). Les tubes absorbant l’air ambiant ont été récupérés et changés chaque semaine pendant quatre semaines consécutives. Ces tubes ont été envoyés à un laboratoire d’analyses pour mesures des concentrations des six polluants dans l’air absorbé.
Les résultats de cette première campagne de surveillance ont été exposés en Préfecture le 21 octobre dernier, dans le cadre de l’instance de suivi de la centrale. Étaient présents : le sous-préfet d’Albi, qui présidait la réunion ; le chef du Bureau Environnement et Affaires Foncières de la Préfecture ; la direction de la DREAL Tarn-Aveyron et l’inspectrice de la DREAL en charge de la centrale de Lafenasse ; une représentante de l’Éducation Nationale ; une représentante de l’Agence Régionale de Santé ; le représentant de l’État pour le projet d’autoroute A69 ; la sentinelle, riverain de la centrale de Lafenasse nommé par la DREAL pour alerter en cas de nuisances ; cinq représentants de la société Tarn Enrobés ; cinq représentants du collectif Stop Enrobé 81.
L’INERIS a présenté les résultats de la campagne de surveillance, concluant qu’« aucun impact de la centrale d’enrobage n’a pu être mis en évidence au niveau des points de prélèvement ». Autrement dit, aucune trace des six polluants concernés qui sont émis par la centrale d’enrobés de Lafenasse, ne se retrouve dans l’environnement, d’après l’étude menée. Les quantités faibles de ces polluants qui ont été identifiées dans les échantillons ne résultent pas, selon l’INERIS, de l’activité de la centrale, mais d’une pollution ordinaire, incompressible (probablement liée, d’après l’INERIS, à la circulation routière et à l’agriculture).
À la suite de cette présentation des résultats, les services de la Préfecture ont publié un communiqué de presse selon lequel « ces résultats permettent de rassurer pleinement les élus et les riverains avec des éléments objectifs et rigoureux sur l’absence de risque sanitaire » (communiqué de presse de la Préfecture du Tarn, 23 octobre 2024).
Mais ces résultats sont-ils si « objectifs et rigoureux », et donc si « rassurants » ?
Le choix d’une méthode non fiable de prélèvement d’air
D’après le guide [lien] Surveillance dans l’air autour des installations classées publié par l’INERIS en 2021, la méthode de prélèvement d’air choisie pour cette campagne de surveillance ne produit que des résultats « indicatifs » (p.73), avec une « incertitude élevée » (p.81). Cette incertitude, en outre, n’est pas encore précisément « qualifiée » et a fortiori pas maîtrisée pour la plupart des polluants existants (p.73).
La méthode choisie, dite « passive », a toutefois l’avantage d’être « légère et peu coûteuse à mettre en œuvre » par comparaison avec les autres méthodes existantes (p.72). De ce fait, elle est préconisée par le guide de l’INERIS en premier recours (p.80), quand on peut se satisfaire d’un degré élevé d’incertitude des résultats.
En revanche, dans les situations où les « enjeux de la campagne [de surveillance] » le requièrent, soit quand des résultats objectifs et rigoureux sont attendus, le guide de l’INERIS recommande d’autres méthodes de prélèvement d’air, dites « actives », beaucoup plus onéreuses mais beaucoup plus fiables (p.70) – méthodes auxquelles l’INERIS n’a pas eu recours pour la campagne de surveillance de la centrale de Lafenasse.
On ajoutera que ni dans la présentation orale des résultats de la campagne de surveillance de la centrale de Lafenasse, ni dans la présentation écrite de ces résultats sous forme d’un rapport d’étude par l’INERIS, il n’a été fait état du manque de fiabilité de la méthode choisie et du caractère très incertain des résultats qu’elle produit.
Le recours à un laboratoire d’analyses non accrédité
Pour garantir des résultats objectifs et rigoureux dans une campagne de surveillance, il est recommandé, lorsqu’on passe à l’étape de l’étude en laboratoire des échantillons d’air prélevés dans l’air ambiant, d’avoir recours à un laboratoire d’analyses bénéficiant d’une accréditation COFRAC pour les procédures concernées. Label unique en France, délivré par un organisme indépendant (association loi de 1901), l’accréditation COFRAC est un gage de qualité, de rigueur et de fiabilité, qui oblige au respect de normes strictes dans la conduite d’une procédure. La justice par exemple, quand elle demande des analyses en laboratoire, exige généralement qu’elles soient réalisées sous accréditation COFRAC.
Le laboratoire sollicité par l’INERIS pour procéder à l’étude des échantillons d’air prélevés dans l’air ambiant aux alentours de la centrale de Lafenasse ne bénéficie pas d’une accréditation COFRAC pour le type d’analyses concernées (voir attestation COFRAC [lien] n° 1-1151 rév. 19, p.12-13).
Une température non conforme de conservation des échantillons d’air
À la suite de la présentation orale des résultats de la campagne de surveillance, le collectif Stop Enrobé 81 a demandé aux services de la Préfecture un exemplaire du rapport écrit de l’INERIS sur cette campagne.
En annexe du rapport de l’INERIS, figure le rapport du laboratoire d’analyses. Dans ce rapport du laboratoire d’analyses, on trouve, pour 5 des 6 substances polluantes mesurées, la mention suivante : « Résultats sous réserve, température de l’enceinte non-conforme à réception ». En effet, les échantillons d’air prélevé ont été reçus à une température de 23,7 degrés pour une température requise d’environ 5 degrés (voir Manuel Radiello, édition française 02-2004, p. C3, D4, E4).
La température est un paramètre important pour l’exploitabilité des échantillons. S’agissant de polluants qui sont des substances volatiles, si la température requise (5 degrés) n’est pas respectée, il y a un risque de perte d’une partie des polluants. Ces polluants, quittant le support où ils se sont déposés, se volatilisent dans l’air ; ils ne seront donc pas mesurés par les analyses. L’INERIS lui-même, quand il présente oralement les modalités d’une campagne de surveillance, insiste sur l’importance de la conservation au frais des échantillons, depuis leur récupération au point de prélèvement jusqu’au laboratoire d’analyses.
Contacté, le représentant pour la France de la marque Radiello (fabricant des tubes qui ont été utilisés pour absorber l’air durant la campagne de surveillance [voir p.7 du rapport de l’INERIS]) indique : « Le stockage des Tubes Radiello à température ambiante (23°C) après échantillonnage [prélèvement d’air ambiant] peut provoquer une perte d’échantillons et dans ce cas-là nous ne garantissons plus l’efficacité de l’échantillonnage. Malheureusement, nous n’avons pas de données sur ce taux. Nous recommandons de refaire l’échantillonnage tout en respectant les températures de stockage (avant et après échantillonnage) recommandées par le fournisseur, ces températures sont indiquées sur le certificat des tubes Radiello ».
Il faut savoir que si l’INERIS avait réalisé la campagne de surveillance de la centrale de Lafenasse sous accréditation COFRAC (accréditation qui impose des conditions d’objectivité strictes), il aurait dû mentionner, dans le corps de son rapport écrit, l’existence de cette non-conformité dans le déroulement de la campagne. Mais l’INERIS ne dispose pas d’une accréditation COFRAC pour ce type de campagne de surveillance (voir attestation COFRAC n° 1-0157 rév. 16 [lien], p.20).
On mentionnera par ailleurs que, quand une non-conformité survient dans le déroulement d’une campagne de surveillance et que cette campagne de surveillance a été commanditée par une association ou un collectif de citoyens inquiet de l’activité d’une installation industrielle, l’industriel récuse systématiquement la campagne de surveillance au motif de cette non-conformité. Il considère les résultats de la campagne de surveillance comme irrecevables.
Mesures en sortie de cheminée : des résultats inquiétants
La campagne de surveillance environnementale de l’INERIS a été précédée de mesures effectuées en sortie de cheminée sur la centrale de Lafenasse. Ces mesures, réalisées le 11 avril 2024 par un organisme agréé (l’APAVE), faisaient partie du dispositif prévu par les services de la Préfecture en « réponse aux préoccupations des élus et des acteurs de préserver le bien-être et la santé de leurs concitoyens » (communiqué de presse de la Préfecture du Tarn, 17 novembre 2023). Elles permettaient d’identifier les substances polluantes qui devaient être recherchées dans l’air ambiant pendant la campagne de surveillance de l’INERIS.
Les mesures concernaient l’ensemble des substances polluantes listées dans l’arrêté ministériel de 2019 sur les centrales d’enrobés (arrêté auquel la centrale de Lafenasse n’est pas soumise, Tarn Enrobés ayant choisi en 2019 de demeurer sous le régime, beaucoup moins contraignant, de son arrêté préfectoral d’autorisation original, en date de 1997).
Les résultats de ces mesures en sortie de cheminée n’ont pas été exposés au cours des réunions de l’instance de suivi de la centrale. Le collectif Stop Enrobé 81 a demandé aux services de la Préfecture une copie du rapport de résultats établi par l’APAVE.
Ces résultats sont inquiétants. Quelques éclaircissements sont encore attendus de la part de la DREAL, mais il est d’ores et déjà possible de dire que certains seuils définis par l’arrêté ministériel de 2019 sont très nettement dépassés.
La concentration mesurée en oxydes de soufre est le double de la valeur limite d’émission imposée par l’arrêté ministériel de 2019 : 630 mg/Nm3 pour une valeur limite d’émission de 300 mg/Nm3 (Rapport d’essais APAVE, 11 avril 2024, p.6).
Les concentrations mesurées pour les composés organiques volatils spécialement dangereux (cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques) sont 5 à 6 fois supérieures à la valeur limite d’émission imposée par l’arrêté ministériel de 2019 : entre 11 et 12 mg/Nm3 pour une valeur limite d’émission de 2 mg/Nm3 (Rapport d’essais APAVE, 11 avril 2024, p.7).
Les membres du collectif Stop Enrobé 81